« On se chamaille pour un siège » : la pièce de théâtre qui interroge la démocratie en Afrique

Article : « On se chamaille pour un siège » : la pièce de théâtre qui interroge la démocratie en Afrique
Crédit: Lisi YAO
25 juin 2023

« On se chamaille pour un siège » : la pièce de théâtre qui interroge la démocratie en Afrique

Dans les arcanes du monde théâtral ivoirien résonne encore le titre évocateur : « On se chamaille pour un siège », une pièce de théâtre comique qui a marqué les esprits depuis sa création dans les années 80. Sous la plume du Professeur Hyacinthe KAKOU, éminent dramaturge ivoirien, cette satire sociale et politique se révèle être bien plus qu’un simple divertissement, car elle aborde des thèmes sociaux et politiques tout en posant un regard critique sur la démocratie, spécifiquement en Afrique.

S’articulant autour du contexte électoral, avec ses tensions, ses crises et ses affrontements, l’œuvre satirique « On se chamaille pour un siège » résonne profondément avec le public ivoirien, qui l’a accueillie avec un mélange de rire et de gravité. Dès ses premières représentations, elle a suscité des ovations enthousiastes de la part du public et a été chaleureusement saluée par la critique locale. Son importance culturelle et littéraire a été consacrée par le prestigieux Prix de la meilleure pièce inédite au premier Festival National du Théâtre scolaire et universitaire, organisé en collaboration avec le Lycée Moderne de Man.

En plongeant dans cette pièce intemporelle, je me suis laissée captiver par la pertinence continue de ses thématiques, qui résonnent toujours dans l’actualité. Ainsi, dans ce billet, je partage avec vous mes impressions après lecture, en espérant contribuer modestement à l’enrichissement de la discussion déjà passionnée qui entoure cette œuvre majeure de la littérature ivoirienne.

© Blk Librairie

Un livre attirant, comme un aimant…

Lorsque je me suis rendue à l’Institut français d’Abidjan, à l’occasion de la finale du Grand concours de lecture Planète J’aime lire à voix haute, cette année 2023, j’étais loin d’imaginer que je rentrerai à la maison avec le livre de la pièce On se chamaille pour un siège.

J’avais fait un petit tour des stands en commençant par celui de la Librairie de France. Je ne voulais surtout pas dépenser plus que ce que j’avais prévu, mais face aux livres… C’était difficile et il fallait surtout faire des choix. Je prenais tel ou tel titre puis j’en reposais pour en prendre un autre… Et, alors que j’étais sur le point de mettre fin à ma visite, je vis le fameux On se chamaille pour un siège. Un titre qui me disait quelque chose, sinon grand-chose, que je n’avais pourtant pas encore lu ! Je n’avais en tout cas pas le souvenir de l’avoir lu, ce titre qui me semblait pourtant familier. Son prix ? 1950 FCFA. Même pas 2000 F ! C’était une raison de plus de ne surtout pas manquer l’occasion de l’avoir ! Aujourd’hui c’est une fierté pour moi de tenir entre mes mains ce classique de la littérature ivoirienne et d’en parler, même si les connaisseurs et autres professionnels du secteur culturel et littéraire ont certainement déjà dit et écrit ce qu’il y avait à dire et à écrire sur l’œuvre de l’écrivain Hyacinthe KAKOU, l’un des plus importants dramaturges ivoiriens de ces dernières années.

Une pépite pourtant éditée 25 ans plus tard

Et oui ! 1982-2007. Ecrite en 1982, avec l’aide des élèves du professeur Hyacinthe KAKOU alors en 4ème au Lycée Moderne de Man, il a fallu attendre vingt-cinq ans (2007) pour voir On se chamaille pour un siège  être éditée par Vallesse, une jeune maison d’éditions ivoirienne. Pourquoi avoir attendu tout ce temps ? Pourquoi le manuscrit est-il resté aussi longtemps dans les tiroirs de l’auteur ? Pour ceux qui veulent en savoir plus, j’ai juste envie d’écrire : référez-vous à la préface, et aux pages 7 et 8 ! Mais, je vais quand même partager quelques éléments qui pourraient nous faire comprendre…

Dans l’Avant-propos signé par l’Éditeur, on apprend que Hyacinthe KAKOU n’avait pas remis son manuscrit à toutes les maisons d’édition qui l’avaient sollicité, et on se demande si cela n’avait pas un lien avec « une regrettable affaire de cachet entre les comédiens et les responsables du ministère chargé de la culture, qui avait alors produit le spectacle ». Le spectacle : une création dirigée par le grand Bitty Moro, basée sur la comédie On se chamaille pour un siège, en 1985. Le spectacle avait suscité « une forte bousculade au Théâtre de la Cité ». Le Théâtre de la Cité, situé à Cocody, au sein de la Cité universitaire appelée Cité rouge, était le haut lieu du théâtre en Côte d’Ivoire dans les années 70 et 80 (p.7-8).

L’Éditeur nous dit également que Hyacinthe KAKOU trouve nécessaire de publier toutes les pièces de théâtre inédites marquantes du Festival National du Théâtre Scolaire, conformément aux recommandations de son règlement.

On se chamaille pour un siège jouée par la troupe N’zrama

Des mots qui ont fait fondre mon cœur

« A une grande amie, Albertine Tiémoko, alors élève en classe de 2e A, au Lycée Moderne de Man, sans laquelle je n’aurais sans doute pas édité ce manuscrit (…) A tous mes élèves de 4ème du Lycée Moderne de Man, année scolaire 1980-1981, qui m’ont aidé à écrire cette pièce (…) »

Je n’ai pu m’empêcher de penser à la grande amie, aux élèves, à cette classe de 4e… Et mon cœur fut séduit par ces belles dédicaces, page 5, qui ont fait voyager mon esprit en le renvoyant à une certaine époque. Une époque lointaine, où mon père n’avait pas encore rencontré ma mère ! L’exemplaire de mon livre est d’ailleurs marqué par plein de petits cœurs que j’y ai dessinés !

On se chamaille pour un siège : une comédie pleine de fous rires !

Si vous faites partie des chanceux qui ont déjà lu cette comédie vous le savez : on rit de bout en bout ! Cette pièce est une satire pleine de fous rires qui ne manque pourtant pas de sérieux et de leçons sur la politique, la course au pouvoir, la démocratie…. Le mélange de rire et de gravité est la grande réussite de cette pièce. J’étais  moi-même sans arrêt prise de fous rires en lisant, je ne sais plus si une seule page n’a pas une de mes marques : un smiley qui traduit le rire, un « haha »!

Jerry la souris, Giphy

Plantons le décor de cette hilarante satire

Dans un petit village de l’ouest de la Côte d’Ivoire, la vie d’ordinaire paisible est désormais secouée par un événement politique d’importance : l’élection à la députation. Trois habitants du village convoitent le prestigieux siège de député de la circonscription. Leur ambition est démesurée et rien ne semble pouvoir les arrêter dans leur course au pouvoir.
Ils sont trois, trois personnages désopilants : Djinan, ancien combattant, qui pense plus à ses droits qu’à ses devoirs. Boka, le député sortant qui est prêt à tout pour se maintenir à son poste. Et Tinanoh, jeune femme frondeuse et ambitieuse, qui ose s’affronter à deux hommes, dont l’un n’est autre que son père ! On assiste à quelques passages qui traduisent le machisme et la violence de certains hommes avides de pouvoir et de domination, une réalité très bien dépeinte qui est toujours d’actualité aujourd’hui….

Un de mes coups de cœur avec On se chamaille pour un siège, ce sont les nombreux proverbes africains employés, des proverbes très bien maniés, comme je les aime !

Le coq transpire aussi ; seules, ses plumes nous empêchent de nous en rendre compte

On se chamaille pour un siège, page 54

Avec la flèche de la bouche, on tue toujours le gibier

On se chamaille pour un siège, page 109

Le très comique Djinan

Djinan est mon personnage préféré. Il est heureux, euphorique, parce que son « poste transistor flambant neuf »  arrivé « tout droit du pays des Blancs » (p.14) a annoncé une nouvelle qui l’enchante : La loi lui permet à lui aussi de se présenter aux élections législatives ! Djinan, qui rêve déjà de son statut de député, va l’annoncer fièrement à sa femme. Sa femme, Titi, présentement affairée dans sa cuisine et qui surveille la cuisson de sa bouillie de mil.

Djinan lui annonce qu’ils vont quitter leur « vieille et laide cabane » pour « un grand et magnifique palais avec des jardins aux arbres importés, éclairés de jour et de nuit ! »  (p.15). D’ailleurs Titi peut bien laisser la bouillie de mil brûler car « le mil aux mange-mil » ! Désormais – ou plutôt après son élection – ils ne mangeront plus que de la salade, des petits pois et de la pomme de terre sautée à l’étouffée… »  (p.17). S’il est élu, Djinan prévoit même de changer son nom pour un nom moins barbare et vulgaire!

Ahouba, le pêcheur d’âmes

Voilà un autre personnage dont la description fait plus que rire !

Dans le village, on cherche quelqu’un pour la lecture de la lettre des autorités. C’est alors qu’on a pensé au catéchiste Ahouba. Les villageois le décrivent comme un soulard qui dit ne pas boire le vin mais le sang du Christ (p.35). L’on dit de lui que s’il venait à tomber malade, placer à son chevet une bouteille de vin rouge suffirait à lui faire recouvrer la santé. Et si cela ne marchait pas, ce serait la preuve qu’il n’y a plus rien à faire pour celui qui aurait été « baptisé à coups de vin », tant ses habitudes sont étonnantes (p. 34).

Le pouvoir de l’argent

Doua est le plus intelligent des élèves du village et même des villages alentours. Selon Djinan il n’est passé au CE2 que par ancienneté… Que dire de l’attitude des villageois suite la lecture trompeuse du jeune Doua ? Le jeune élève, qui au lieu de lire « urgent » a lu « argent » et a ainsi fait tomber tout le monde en transe à l’idée de savoir combien il y a dans la fameuse enveloppe ! L’auteur s’amuse aussi avec les descriptions des hommes et femmes dits importants : « Morceau de pagne noué à la gorge », pour parler de cravate (p.51).

Ce qui a intrigué la petite lectrice que je suis

C’est assurément le niveau de langue des villageois. Ce dernier, pour s’exprimer tout au long de la pièce, est presque parfait. Pourtant, les mêmes villageois n’arrivaient pas à lire la lettre des autorités qui leur était adressée. Mais bon, on comprend l’intention de l’auteur : il fallait bien écrire en français et jouer la pièce dans l’intention de se faire comprendre des spectateurs !

Et pour finir…

Quelle belle fin ! Un « happy end » comme dans les films ? En tous cas, une fin comme il n’y en a que très rarement dans le monde politique africain. Après l’affrontement, place à l’apaisement. Les deux candidats perdants acceptent tout simplement leur défaite. Hyacinthe KAKOU offre une leçon de démocratie. Une leçon à tous les responsables politiques, qui fait aussi réfléchir les électeurs que nous sommes ! La satire se transforme en rêve de période post électorale, sereine et apaisée… On voit les différents candidats à la députation qui se serrent la main et s’embrassent. Ils font même la fête pour faire honneur aux résultats des votes !
Un résultat des votes qui est à noter et m’a agréablement surprise ! L’issue que l’auteur donne à la pièce est étonnante. Elle l’est quand on sait que cette comédie fut écrite en 1982. L’issue peut être qualifiée de moderne et même de visionnaire ! A vous de la découvrir en lisant la pièce !

Je suis aujourd’hui si heureuse et fière d’avoir mon exemplaire de On se chamaille pour un siège ! Quand je pense à toutes mes hésitations face aux nombreux livres sur le stand de la Librairie de France… Et aux choix si difficiles qu’il a fallu faire pour savoir quels livres garder ! Quel bonheur d’avoir lu cette comédie ! Une comédie qui dépeint les réalités sociopolitiques d’un pays africain (mais qui pourrait aussi concerner bien d’autres latitudes), avec tant de justesse et d’humour. Et qui décrit si drôlement les ambitions pour lesquelles certains sont prêts à tout : mensonges et guerres fratricides. Ces ambitions pour lesquelles on est prêt à renier même son sang !

A bientôt ! ☺

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